23 avril 1833. Ce jour là, Frédéric Ozanam fête ses vingt ans. Il aurait pu les fêter comme tous les étudiants de son temps : avec ses camarades de la Sorbonne dans une taverne du quartier latin. Ou bien il aurait pu choisir une atmosphère plus « balzacienne », en fréquentant un très chic salon au milieu de jeunes gens de « bonnes familles ».
Mais non, ce jour là sera différent, car avec sept autres amis, ils ont décidé de se rassembler à l’actuel 38 rue St Sulpice, au siège du journal la Tribune Catholique, pour répondre à un appel…
L’appel
Quelques jours plus tôt, lors d’une réunion d’étudiants où débattent ensemble chrétiens et non chrétiens, sur le rôle de l’Église dans l’histoire (les fameuses conférences d’histoire, où Ozanam défendait l’action de l’Église dans le passé), Ozanam et ses amis, alors qu’ils défendaient l’œuvre de charité des catholiques au moyen-âge se firent vertement interpellés. Un jeune Saint-simonien (intellectuel socialiste athée), se leva pour leur faire remarquer que malgré un passé glorieux dans l’aide aux plus démunis les catholiques d’aujourd’hui ne faisaient rien pour les pauvres. Ozanam et ses amis, prirent cette remarque avec honnêteté…et reconnurent au fonds d’eux-mêmes que ce Saint Simonien avait raison, qu’ils ne faisaient rien de concret pour soulager la misère. Alors spontanément, ils allèrent porter du bois à une voisine en grande pauvreté. Mais ils voulurent continuer et organiser la charité afin « d’affirmer par des œuvres la vitalité de notre foi » en se réunissant quelques jours après, pour l’anniversaire de Frédéric.
Ce soir là, 23 avril, ils constituèrent la première conférence de charité autour d’une personnalité plus âgée et très connue sur Paris, Emmanuel Bailly. Bailly était un imprimeur parisien. Engagé au sein de l’Eglise, il éditait un très grand nombre de publications catholiques, des livres et des journaux dont la Tribune Catholique. Bailly, du fait de sa personnalité et de son âge, a été désigné président de la conférence de charité. Ils ont un président, mais pas de « fondateurs » car ils considèrent que c’est une œuvre collective inspirée par l’Esprit Saint.
Ils choisirent ce nom de « conférence » en référence à la conférence d’histoire d’où le groupe est issu. Le terme conférence désignait les groupes d’étudiants au XIXème siècle.
Dès ce jour là, l’esprit de la Société de Saint Vincent de Paul est déjà présent : Amour du pauvre, volonté d’être pleinement chrétien, charitable afin d’être exemplaire. Donner l’exemple de la charité n’est il pas le meilleur moyen de réhabiliter l’Église aux yeux des autres ? Et surtout vivre la charité, l’amour du plus pauvre est l’accomplissement de l’Evangile et donc le meilleur témoignage de l’amour du Christ pour les Hommes.
La visite à domicile
Dès l’appel, avec cette visite à une voisine pauvre, ils choisirent d’agir en visitant le pauvre chez lui. La visite à domicile constituait une rupture par rapport à l’action de charité des laïcs au XIXème siècle. En effet, les pauvres venaient chez les plus fortunés pour recevoir de l’aide. Les premiers conférenciers ont eu cette intuition de vouloir apporter du secours chez eux, afin de connaître leurs conditions de vie. Et surtout afin qu’il n’y ait pas d’humiliation pour les malheureux en découvrant un habitat bourgeois…Cette connaissance de la vie des pauvres a permis beaucoup de prises de consciences. Certains vincentiens devinrent même des hommes politiques engagés pour les plus pauvres grâce à leur expérience de la visite à domicile.
Mais visiter les pauvres ne s’improvise pas. Il faut les connaître, savoir se comporter avec eux pour vraiment les aider et non commettre des maladresses. Ainsi les premiers vincentiens se rapprochèrent de Sœur Rosalie Rendu, fille de la Charité (béatifiée en 2003) active au quartier Mouffetard près du quartier latin. Elle devint pour eux leur « institutrice de la charité ».
Très rapidement la conférence de charité a pris le nom de conférence Saint Vincent de Paul, sur le conseil d’Emmanuel Bailly dont un des frères était Lazariste. Le choix de ce nom indique un autre pilier de la spiritualité du groupe : la dévotion à Saint Vincent de Paul, qui est pour eux l’exemple de la charité moderne.
Vie spirituelle
Mais ils ne se sont pas limités à l’action. Ozanam et ses amis avaient une vie de prière. Ils se réunissaient toutes les semaines pour organiser leur action mais aussi pour prier ensemble. Ils commençaient leur réunion par une prière à l’Esprit Saint et ils la terminaient par une lecture spirituelle et une prière à Marie.
Cette spiritualité très belle et très présente et l’esprit d’amitié et de fraternité qui y règne, a fait que le groupe s’est très vite élargit. Mais l’élargissement du groupe n’est pas allé de soi. Les premiers vincentiens ont hésité lorsqu’un autre étudiant est venu se proposer de les rejoindre. Ils étaient tentés de rester un petit groupe restreint…Mais ils accueillirent ce nouveau, ainsi que des dizaines d’autres jeunes dans un esprit de charité envers eux : Selon Ozanam, un jeune chrétien seul arrivant à Paris pour ses études était un chrétien en danger. L’amitié qu’il trouverait à la conférence et la possibilité qu’il avait de mettre sa foi en pratique, lui permettrait de consolider sa vie spirituelle. Dès lors, la conférence n’a cessé de s’agrandir et de nouvelles conférences se sont créées. Un an plus tard ils étaient une centaine de bénévoles, trois ans après des conférences se développaient dans toute la France, puis ensuite à l’étranger, dans le reste de l’Europe et sur le continent américain. Le succès des conférences de charité fût fulgurant.
Aujourd’hui, 180 ans plus tard, la Société de Saint Vincent de Paul est présente dans 150 pays et compte près de 800 000 membres. Elle est une des plus importantes organisations humanitaires au monde. Ozanam se doutait-il qu’il serait prophète en disant : « Je voudrais enserrer le monde entier dans un réseau de charité » ?