Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Société Saint Vincent de Paul St. Léon Colmar
  • : C'est notre enracinement dans l'Evangile,autrement dit, une spiritualité active au services des pauvres
  • Contact

Profil

  • bernard
  • Animateur socio éducatif à la retraite.
  • Animateur socio éducatif à la retraite.

Recherche

Pages

Catégories

Solidarité-Torture

24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 10:33

Jean Ziegler : « Les spéculateurs devraient être jugés pour crime contre l’humanité »

 

Par Elodie Bécu (19 décembre 2011)

 

Les ressources de la planète peuvent nourrir 12 milliards d’humains, mais la spéculation et la mainmise des multinationales sur les matières premières créent une pénurie. Conséquence : chaque être humain qui meurt de faim est assassiné, affirme Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il dénonce cette « destruction massive » par les marchés financiers. Des mécanismes construits par l’homme, et que l’homme peut renverser. Entretien.

Basta ! : Craignez-vous que la crise financière amplifie celle de la faim dans le monde ?

Jean Ziegler :

Tous les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Près d’un milliard d’humains sur les 7 milliards que compte la planète souffrent de sous-alimentation. La pyramide des martyrs augmente. À cette faim structurelle, s’ajoute un phénomène conjoncturel : les brusques famines provoquées par une catastrophe climatique – comme en Afrique orientale, où 12 millions de personnes sont au bord de la destruction – ou par la guerre comme au Darfour. En raison de la crise financière, les ressources du Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l’aide d’urgence, ont diminué de moitié, passant de 6 milliards de dollars à 2,8 milliards. Les pays industrialisés ne paient plus leurs cotisations car il faut sauver la Grèce, l’Italie et les banques françaises. Une coupe budgétaire qui a un impact direct sur les plus démunis. Dans la corne de l’Afrique, le PAM est contraint de refuser l’entrée de ses centres de nutrition thérapeutique à des centaines de familles affamées qui retournent dans la savane vers une mort presque certaine.

Et les financiers continuent de spéculer sur les marchés alimentaires. Les prix des trois aliments de base, maïs, blé et riz – qui couvrent 75 % de la consommation mondiale – ont littéralement explosé. La hausse des prix étrangle les 1,7 milliard d’humains extrêmement pauvres vivant dans les bidonvilles de la planète, qui doivent assurer le minimum vital avec moins de 1,25 dollar par jour. Les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l’humanité.

 

Les ressources de la planète suffisent à nourrir l’humanité. La malnutrition est-elle seulement une question de répartition ?

 

Le rapport annuel de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que l’agriculture mondiale pourrait aujourd’hui nourrir normalement 12 milliards d’humains [1], presque le double de l’humanité. Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’y a plus aucune fatalité, aucun manque objectif. La planète croule sous la richesse. Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Il n’est pas la victime d’une « loi de la nature » !

 

Au-delà de la spéculation, quelles sont les autres causes de la faim dans le monde ?

 

Tous les mécanismes qui tuent sont faits de main d’homme. La fabrication d’agrocarburants brûle des millions de tonnes de maïs aux États-Unis. L’océan vert de la canne à sucre au Brésil mange des millions d’hectares de terres arables. Pour remplir un réservoir de 50 litres de bioéthanol, vous devez brûler 352 kg de maïs. Au Mexique ou au Mali, où c’est l’aliment de base, un enfant vit une année avec cette quantité de maïs. Il faut agir face au réchauffement climatique, mais la solution ne passe pas par les agrocarburants ! Il faut faire des économies d’énergies, utiliser l’éolien, le solaire, encourager les transports publics.

Autre élément : le dumping agricole biaise les marchés alimentaires dans les pays africains. L’Union européenne subventionne l’exportation de sa production agricole. En Afrique, vous pouvez acheter sur n’importe quel étal des fruits, des légumes, du poulet venant d’Europe à quasiment la moitié du prix du produit africain équivalent. Et quelques kilomètres plus loin, le paysan et sa famille travaillent dix heures par jour sous un soleil brûlant sans avoir la moindre chance de réunir le minimum vital.

Et la dette extérieure des pays les plus pauvres les pénalise. Aucun gouvernement ne peut dégager le minimum de capital à investir dans l’agriculture, alors que ces États ont un besoin crucial d’améliorer leur productivité. En Afrique, il y a peu d’animaux de traction, pas d’engrais, pas de semences sélectionnées, pas assez d’irrigation.

Enfin, le marché agricole mondial est dominé par une dizaine de sociétés transcontinentales extrêmement puissantes, qui décident chaque jour de qui va vivre et mourir. La stratégie de libéralisation et de privatisation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ouvert la porte des pays du Sud aux multinationales. La multinationale Cargill a contrôlé l’an dernier 26,8 % de tout le blé commercialisé dans le monde, Louis Dreyfus gère 31 % de tout le commerce du riz. Ils contrôlent les prix. La situation est la même pour les intrants : Monsanto et Syngenta dominent le marché mondial – donc la productivité des paysans.

 

Que faire face à cette situation ?

 

Ces mécanismes, faits de main d’homme, peuvent être changés par les hommes. Mon livre, Destruction massive, Géopolitique de la faim, malgré son titre alarmant, est un message d’espoir. La France est une grande et puissante démocratie, comme la plupart des États dominateurs d’Europe et d’Occident. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Nous avons toutes les armes constitutionnelles en main – mobilisation populaire, vote, grève générale – pour forcer le ministre de l’Agriculture à voter pour l’abolition du dumping agricole à Bruxelles. Le ministre des Finances peut se prononcer au FMI pour le désendettement total et immédiat des pays les plus pauvres de la planète.

 

La crise de la dette européenne rend cette position plus difficile à envisager…

 

Elle complique la situation. Mais la taxe Tobin, quand elle a été proposée par Attac il y a quinze ans, était qualifiée d’irréaliste. Aujourd’hui, elle est discutée par le G20 ! Les organisations internationales sont obligées de constater la misère explosive créée par la hausse des prix des matières premières. Un chemin se dessine. Nous avons un impératif catégorique moral – au-delà des partis, des idéologies, des institutions, des syndicats : l’éveil des consciences. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où des enfants meurent de faim alors que la planète croule sous les richesses. Nous ne voulons plus du banditisme bancaire. Nous voulons que l’État à nouveau exprime la volonté du citoyen, et ne soit pas un simple auxiliaire des entreprises multinationales. Ces revendications créent des mouvements dans la société civile.

 

La crise ne risque-t-elle pas de provoquer une montée du populisme en Europe, plutôt qu’un nécessaire sursaut des consciences ?

 

La lutte est incertaine. Le chômage et la peur du lendemain sont les terreaux du fascisme. Mais il y a une formidable espérance à la « périphérie », comme le montrent les insurrections paysannes pour la récupération des terres que les multinationales se sont appropriées au nord du Brésil et du Sénégal, au Honduras ou en Indonésie. Si nous arrivions à faire la jonction, à créer un front de solidarité entre ceux qui luttent à l’intérieur du cerveau de ces monstres froids et ceux qui souffrent à la périphérie, alors l’ordre cannibale du monde serait abattu. J’ai d’autant plus d’espoir que l’écart entre Sud et Nord se réduit, parce que la jungle avance. La violence nue du capital était jusqu’ici amortie au Nord, par les lois, une certaine décence, la négociation entre syndicats et représentants patronaux. Aujourd’hui, elle frappe ici les populations humbles. Il faut montrer la voie de l’insurrection et de la révolte.

Propos recueillis par Élodie Bécu

À lire : Jean Ziegler, Destruction massive : Géopolitique de la faim, 2011, Éditions du Seuil, 352 pages, 20 euros.

Notes

[1] Selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé : 2 200 calories par individu et par jour.

Partager cet article
Repost0
29 octobre 2010 5 29 /10 /octobre /2010 07:51
Deux nouvelles menaces pour la faim dans le monde

Opération Oxfam lors du sommet de la FAO (Antonio Amendola/Shoot4Change)

Cette semaine, 190 pays se réunissent à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) afin de participer à la session annuelle du Comité de la sécurité alimentaire. Bien que le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde ait baissé en 2010 pour atteindre 925 millions, il reste « inadmissible » pour la FAO.

Dans le cadre de leur nouvelle campagne, « Privés de terre, privés d'avenir », Oxfam France et Agronomes et Vétérinaires sans Frontières soulignent que l'accaparement des terres et la vulnérabilité des agricultures face au changement climatique sont deux nouvelles causes de la sous-alimentation.

925 millions de personnes sous-alimentées

En 2009, la barre symbolique du milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde avait été dépassée, notamment en raison de l'envolée des prix alimentaires. Même si la FAO indique que ce chiffre a reculé de 9,6% cette année, il n'y a pas de quoi se réjouir.  

Un nouveau rapport de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri) montre que sur les 122 pays en développement étudiés, la faim atteint des niveaux « alarmants » voire « très alarmants » dans 29 pays, notamment en République démocratique du Congo, au Burundi ou encore au Tchad. (Voir la carte)

 

L'Asie pacifique reste la région la plus fortement touchée avec 578 millions de personnes sous-alimentées, mais c'est en Afrique subsaharienne que la proportion d'affamés est la plus forte : 30% de la population (chiffres de la FAO).

Face à ces constats, la campagne « Privés de terre, privés d'avenir » établit un parallèle important. La FAO indique en effet que 43% de la population active mondiale est employée dans le secteur agricole, or il se trouve que les trois quarts des personnes souffrant de la faim sont des agriculteurs.

Oxfam France et Agronomes et Vétérinaires sans Frontières soulignent par ailleurs que les paysans se trouvent depuis peu confrontés à deux nouvelles menaces : l'accaparement des terres et les effets du changement climatique.

Spoliation des terres et non-respect des droits des communautés

Selon une estimation de l'Ifpri, 15 millions à 20 millions d'hectares de terres agricoles dans les pays en développement ont fait l'objet de transactions ou de négociations avec des investisseurs étrangers depuis 2006. Ce phénomène s'est par ailleurs fortement intensifié depuis la hausse brutale des prix des produits agricoles fin 2007.

Ainsi, des fonds et investisseurs privés, tel Goldman Sachs ou Morgan Stanley, ont acquit des dizaines de milliers d'hectares de terres en vue de répondre à la demande croissante des pays développés en agrocarburants, mais surtout parce que cela représente une nouvelle opportunité de profits.

De plus, certains Etats comme la Chine ou l'Arabie saoudite sont désormais confrontés à la raréfaction de leurs terres agricoles et de leurs ressources en eau, et dépendent des importations pour nourrir une partie de leurs populations. Ces nouvelles terres leur permettent donc de sécuriser leurs sources d'alimentation sur le long terme.

Ces transactions ont pour principale conséquence la dégradation de la sécurité alimentaire des pays hôtes, pays généralement déjà touchés par d'importants taux de sous-alimentation. En effet, les plantations réalisées dans le cadre de ces investissements sont majoritairement destinées à l'exportation, privilégiant ainsi les intérêts du commerce global au détriment d'une agriculture paysanne durable tournée vers les marchés locaux.

Il faut également souligner que l'accaparement des terres à grande échelle retire purement et simplement la terre aux communautés locales et détruit des modes de vie.

Aujourd'hui, les traités d'investissements étrangers n'imposent aucune obligation sociale ou environnementale aux investisseurs, et les mesures volontaires proposées par la FAO et la Banque mondiale ne permettent pas de réglementer efficacement ces pratiques.

Tout l'enjeu est donc de définir un cadre contraignant pour les investisseurs à l'international les obligeant à respecter les droits humains et environnementaux des communautés locales.

Un accès aux ressources naturelles menacé

Autre phénomène affectant directement les agriculteurs : les impacts du changement climatique. Le réchauffement planétaire est aujourd'hui un fait avéré -même s'il donne encore lieu à de nombreux débats ! - et l'une de ses principales conséquences sera la raréfaction des ressources naturelles.

Le Giec avance en effet l'hypothèse selon laquelle le changement climatique augmentera la pression sur les ressources naturelles, en particulier l'eau et la terre, engendrant par le futur de nombreux conflits relatifs à l'usage et à la gestion de ces ressources. Il apparaît déjà que les populations les plus vulnérables face à ce phénomène sont celles des pays du sud, et plus particulièrement celles des zones arides de l'Afrique de l'Ouest, des îles des Caraïbes ou encore des zones côtières.

Oxfam souligne ainsi qu'en Afrique, entre 75 millions et 250 millions de personnes pourraient être confrontées à d'importantes pénuries d'eau d'ici 2020. A titre d'exemple, la sécheresse au Sahel pourrait exacerber la dégradation des sols et la baisse des productions agricoles, tandis que dans les régions sèches d'Amérique latine, les terres agricoles deviendront probablement plus salées et plus sablonneuses, provoquant là aussi une diminution des rendements des cultures.

100 milliards de dollars seraient de fait nécessaires chaque année pour l'adaptation au changement climatique dans les pays du sud.

Lors des négociations de Copenhague en décembre 2009, les pays industrialisés se sont engagés à apporter des ressources supplémentaires aux pays en développement pour les soutenir face aux impacts du réchauffement global. Mais ces financements étant encore flous, les ONG cherchent maintenant à s'assurer que ces fonds promis s'ajouteront bien à l'aide au développement existante.

Partager cet article
Repost0